mercredi, novembre 22, 2006

Photographie : The Art of Dita Von Teese

La parution il y a quelques mois du livre de photos "Burlesque and the Art of the Teese" donne l’occasion de revenir sur le phénomène artistique et populaire que constitue le personnage de Dita Von Teese.

Célèbre pour sa beauté délicieusement surannée mais tellement tendance, ses performances dénudées dans des verres de Martini Dry géants et son mariage discret avec le sympathique Brian Warner (alias Marilyn Manson), Miss Teese est surtout une femme passionnée par le glamour ludique des années 20 à 50 et une artiste qui fait d’elle-même sa propre oeuvre.

Née Heather Renée Sweet, le 28 septembre 1972 dans le Michigan, Miss Teese collectionne des pièces de lingerie vintage dès l’âge de 16 ans et met en place les bases de son projet esthétique en 1991, en imitant les poses et les choix vestimentaires de Bettie Page (la célèbre pin-up 50’s) dans des magazines fétichistes. Danseuse et effeuilleuse accomplie, elle multiplie par la suite les shows érotiques parallèlement à sa carrière de modèle. En 1997, Playboy commence à publier des photos d’elle et l’amène à se produire dans quelques unes de ses vidéos. Dans le même temps, elle promène son personnage sur les tournages de quelques films érotiques mis en scène par Andrew Blake, un des rares esthètes reconnus du X...

A partir des années 2000, sa beauté épicée, fusionnant les cultures gothique, glamour, cabaret et S.M, illumine régulièrement magazines de mode, journaux people, presse culturelle et revues masculines. Proclamée "reine du burlesque", elle apparaît fréquemment dans les défilés de haute-couture et les plus grands photographes (de Ellen Von Unwerth, à Pierre & Gilles, en passant par Christophe Mourthe, Gottfried Helnwein, etc.) se succèdent pour magnifier la sophistication de ses personnages.

La couverture du numéro de Playboy de décembre 2002 figure à ce titre parmi les plus remarquables de sa carrière. Le cliché propose dans la joie et le strass une synthèse de ses partis-pris artistiques. Le contraste entre la douceur de son discret sourire et la raideur d’un bustier qui semble la prendre au piège, à la fois contrainte physique et élément de décor la mettant en valeur, est emblématique de la subtile subversion de sa posture. Cette mise en scène témoigne de son désir, si moderne, de jouer de son corps et de se jouer des codes et des frontières volatiles entre culture populaire et alternatives underground.

Cette magnifique couverture préfigurait les splendeurs de son livre. Merveilleusement mis en page, l’ouvrage (à acquérir toutes affaires cessantes) consiste en un recueil commenté de photographies. Il expose dans sa première partie de multiples clichés de la belle, tour à tour danseuse, star d’un autre temps ou page centrale de magazines pour hommes. Dans sa seconde moitié, nommée "Fetish and the Art of the Teese", sorte de négatif ou d’inversion thématique de la première, elle se glisse dans les diverses enveloppes de créatures S.M et gothiques diablement charnelles et suaves. Régal visuel total, "Burlesque and the Art of the Teese", est à la fois rafraîchissant, amusant et passionnant. Dita Von Teese s’y offre sur un plateau d’argent, exhibant son érudition fétichiste et irradiant le lecteur hédoniste de sa beauté et de son élégance.

Dernièrement, les rideaux du Crazy Horse à Paris ont dévoilé ses charmes à une poignée de chanceux... Vivement les prochaines manifestations de son aventure esthétique.

Julien Grandchamp

jeudi, novembre 02, 2006

Parenthèse : Caché

Apologie (tardive) d'un chef d'oeuvre.


Film d’une puissante sobriété. Choc esthétique et intellectuel. Performances d’acteurs stupéfiantes de nuances et de force. Le dernier film en date de Michael Haneke, auteur du brillant La Pianiste, propose une plongée passionnante dans un océan de possibles et d’impasses, où on entrevoit ça et là les cadavres de la conscience d'un homme résolu vaille que vaille à maîtriser son passé.

Prenant pour point de départ la découverte, par Georges, un présentateur de télévision, de mystérieuses cassettes vidéos placées sur le pas de sa porte, Caché ramène inexorablement son personnage principal (excellemment interprété par Daniel Auteuil) vers un terrible souvenir d’enfance. Ce souvenir aux multiples interprétations, c'est celui d'un acte irréparable qui précipita jadis dans la solitude du rejet le petit Majid, un enfant que les parents de Georges avaient adopté et qui partageait son foyer, son domaine intime.

C'est précisément le lent délitement de ce domaine intime que le génie formel de Haneke va agencer. L'érosion qui altère chaque aspect de la vie sociale du personnage principal s'appuie sur une narration à la fois linéaire et tridimensionnelle. Celle-ci forme une sorte de tectonique des plaques dont les mouvements sont profonds mais peu lisibles. Elle se décline en trois dimensions : celle correspondant au temps principal de la narration ; celle des vidéos qui font émerger les traces du passé de Georges ; celle de ses fantasmes et souvenirs reconstruits. La succession de brèches et de révélations qui en résultent met à nu le processus par lequel sa vie de couple, sa conscience, ses représentations et son rapport au monde vont s’entrechoquer et progressivement se disloquer.

Le talent du réalisateur autrichien irrigue chaque millimètre carré de pellicule. Il se révèle dans le jeu qu’il anime autour du statut des images et des informations permettant de les typer, posant ainsi la question de leur réalité dans la narration tout en parvenant à créer des effets de profondeurs sur la surface plane de l’écran. Il se traduit dans sa maîtrise du rythme et dans les effets d’attente qu’il produit. Il s’exprime au travers de l’impeccable mise en scène des acteurs entre eux et des acteurs dans l’espace. Et par la splendide monotonie de la photographie et l’absence totale de musique, il crée un sentiment diffus de menace et de calme.

L’ensemble de ce dispositif (et les décalages temporels et spatiaux qu’il engendre) sème le trouble dans les perceptions et la compréhension du spectateur. Il magnifie les abysses de la banalité urbaine, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à que ce que surgissent de cette mer d’huile et de cette illusion d’ordre des choses, les contours coupants et brûlants de la conscience. On sort dès lors de la léthargie pour plonger dans le chaos. En cela, les longs plans fixes d’ouverture et de fin (et l’incroyable tableau vivant dans lequel Majid se tranche la gorge), rappellent ceux de 71 Fragments d’une Chronologie du Hasard (film par ailleurs bien moins abouti que Caché et dans lequel la marche était hélas si haute et l’effet si peu facile, que le propos se diluait en une longue dépression filmée).

Caché questionne l’origine des images et des représentations du passé et ouvre de multiples réflexions sur la nature des souvenirs, sur la responsabilité et le temps. Mais surtout, il interroge les formes de la conscience : celle de l’enfant et celle de l’adulte ; celle qu’on nous attribue et celle qu’on s’attribue ; celle à laquelle on essaie d’échapper, qui se construit malgré nous et détermine nos choix. Il la personnifie par l’évocation permanente de l’auteur inaccessible des vidéos, conscience du film et conscience de Georges et explore jusqu’au bout son éclatement.

Mais même s’il traduit à la marge le moralisme profond de Haneke, le film n’apporte aucun point d’appui. L’hypnotique scène finale apporte des indices mais ne donne pas de réponses. Elle ouvre plutôt de nouvelles brèches. Le doute s’est installé, ce qui avait l’air construit est défait... Et le spectateur accuse le coup, désorienté, marqué au fer rouge par les questions que le film suscite, effrayé par la profondeur des abîmes intimes qui se sont ouverts devant lui. Mais heureux d’avoir découvert un tel joyau.

Julien Grandchamp

mercredi, novembre 01, 2006

Movie Review: The Last King of Scotland

In The Last King of Scotland, directed by Kevin Macdonald, Forest Whitaker plays a dangerously fascinating Idi Amin, the dictator responsible for 300,000 Ugandan deaths in the 1970s. This seductive tale of paranoid power, beautifully shot on location, lingers on the African Nero’s seductive and murderous entourage.

Kevin Macdonald’s stylish account of Idi Amin Dada’s dictatorship in Uganda is a fresh and sexy take on an old tale: that of a mere soldier absolutely corrupted by absolute power. But the director’s foremost accomplishment is, surprisingly, an aesthetic one.

In The Last King of Scotland, Kampala, the 40-year old capital of Uganda is as much a character as the insane dictator himself. After a few introductory scenes shot in the Ugandan countryside, MacDonald’s lens focuses exclusively on the city. Not anintuitive choice, given that Uganda is an overwhelmingly rural country, but one that parallels the dictator’s growing estrangement from his people.

Macdonald, a former documentary director, makes the city look like a tide of tin roofs, spread over red-earth hills and sprinkled with the occasional official building. The contrast with rural Africa and its mud-huts and stick-roofs is striking, a visual impression of an unfinished utopia gone wrong, much like most post-independence African political experiments. But the director performs the feat of depicting it as new, modern and almost beautiful.

Cement reigns supreme in today’s urban Africa. As anyone who has spent time in the sub-Saharan tropics in the last 40 years knows, cities often look like a 1970s James-Bond villain’s nightmare. In downtown Kampala, Nairobi, or Kinshasa, high-rise towers are made of bare, raw concrete, reminiscent on a small scale of the now-defunct New York Twin Towers. Airport terminals and hospitals are enclosed in see-through concrete wire netting. Even ministries – mostly built at independence, sometime in the early 70s – look like cheap renditions of what European architects thought was ground-breaking at the time: Le Corbusier-inspired mammoths, in which all geometry seems to revolve around lozenges.

But Macdonald’s camera captures Kampala as it was originally meant to be seen: brand-new, clean, and open to the elements. The director’s stunning use of light gives a new life to the premises. The Ugandan capital’s hospital looks like it is spacious and deliberately minimalist, instead of unfinished and unkempt.

In the tropical sun, under short but deluge-like rain seasons, suffocating traffic pollution and choking dust, buildings age ten years in a single season. Most of these constructions are independence-era relics, now varnished by a brownish coat of neglect, their walls cracked, stained, and sometimes bullet-pocked, images of Africa’s abbreviated quest for modernity.
However, MacDonald’s tale is set before this architectural and political demise. The memorable orgy-like party scene filmed in the dictator’s villa therefore makes the palace appear cozy and sophisticated, an intricate blend of updated Art Deco and tropical nature. Interiors are equally studied. The orange-to-brown tones, yellow velvet and vanilla carpets, zebra skins and other wildlife trophies create an atmosphere of domesticated jungle. Reflections of light on the praline-colored skins of Idi Amin’s feline, afro-clad mistresses perfectly render the era’s obsession with earthy colors and smooth textures.

This is a welcome departure from the urban Africa portrayed in recent films like Tsotsi, set in a South African slum, or The Constant Gardner, filmed in Nairobi’s largest shantytown. It is a refreshing reminder of how Africa wanted to look at Independence, in the 1960s. It is also a stark reflection of the continent’s failings.


Hilaire Avril