vendredi, décembre 04, 2009

Back online!

Absent pendant longtemps mais jamais très loin, l'auteur de ce blog revient avec de nouveaux textes, de nouvelles idées et de nouvelles chroniques !

vendredi, avril 03, 2009

Airs du temps, une playlist du moment : 04-09

Première édition d'une longue série, la "playlist du moment" millésime avril 2009 présente une sélection de titres plus ou moins récents, tous jouissifs d'une manière ou d'une autre, et qui captent ou évoquent les tendances musicales de ce début d'année.

Parmi les fragments d'air du temps qui quotidiennement bercent mes oreilles, jetez-vous sur :

Marilyn Manson - We're From America. Premier extrait du nouvel album à venir de Marilyn et ses clowns, premier coup de fusil. Riff addictif, rythme martial et paroles gentiment démago font mouche. Après un album en demi-teinte, une désertion (Tim Skold) et le retour de Twiggy Ramirez, le groupe semble puissamment requinqué et inspiré. A l'heure du tout-électro, le morceau surprend par ailleurs par sa posture résolument rock. La fin du retour du fluo ?

YOU! - I Hate You. Des petits français parfaitement inconnus qui inventent en un morceau un nouveau genre musical : le "punk-hop" (ou encore "post-électro-garage" ?). La recette ? Un son de guitare métallique et rachitique au possible, une voix hurlante et faussement approximative à la limite de la rupture, le tout superposé sur des beats synthétiques bien gras qui rappellent ceux de Justice. 20/20.

Yeah Yeah Yeahs - Zero. De l'électro acidulée et fondamentalement rock emmenée par une digne héritière de Siouxsie, j'ai nommé la grande, sexy et estimable Karen O. La rencontre du garage, de l'électro et du dance-floor. Mention spéciale aux boucles planantes qui viennent couronner et conclure le titre. Bonus : la vidéo est somptueuse.

The Gay Blades - O'Shot. Vive le rock'n roll ! Un duo de garage-rockers au son frit à l'huile de vidange, qui sent bon le goudron, la bière et le New Jersey. Des riffs qui vous tirent par le bout du nez d'une extrémité à l'autre du morceau et un beat simplissime qui suffit à animer les muscles du cou. Du groove, de la sueur et du plaisir donc, de nature à plaire aux amateurs de Calla, The Folk Implosion et Girls Against Boys entre autres. P.S. : chose étonnante, à l'exception des moments où il beugle à la manière de Johnny Rotten, le chanteur vocifère avec une voix qui rappelle très fortement celle de Troy Von Balthzar, de Chokebore.

Depeche Mode - Wrong. Talent, le retour ! Un titre inquiétant, intelligent, passionnant et d'une élégance rare qui montre à qui veut bien l'entendre que Martin Gore et David Gahan ont dépassé la crise de la quarantaine pour reconquérir la gravité pop et synthétiquement esthétisante de leurs meilleurs albums (Black Celebration, Music for the Masses et Violator), la sagesse et la maîtrise en plus. Oubliés les faiseurs de coquille vide en pilotage auto-parodique des deux derniers albums. Un groupe à nouveau tendance donc, et qui se paie les services du brillant Patrick Daughters, auteur d'une vidéo épousant magistralement l'inéluctable et tragique montée en tension du morceau. Pourvu que l'album à venir soit du même métal...

Hawnay Troof - Connection. Un MC californien aux commandes d'un bric à brac de samples et de beats façon patchwork bricolé mais groovy qui réinvente les Beastie Boys avec la voix du leader d'Urban Dance Squad. Par forcément pérenne mais classe et joyeux. Peut-être une alternative aux ornières déprimantes de l'abstract hip-hop et du cynique rap West Coast ?

Dafuniks - All I Want. Jamais vraiment mort, mais pas non plus en grande forme ces jours-ci, le "cool hip-hop" des illustres légendes des 90's que furent The Pharcyde, A Tribe Called Quest et plus récemment Jurassic 5 s'accorde depuis peu une mini-résurrection avec ce magnifique et bondissant morceau de Dafuniks, un joyeux collectif de blanc-becs aux voix pourtant bien chaudes en provenance... du Danmark !

Pendulum - Granite. Primal Scream et Atari Teenage Riot se sont réincarnés sous les traits popifiés et bronzés d'un sympathique groupe de "drum'n bass + shoe-gazing" australien fort joliment nommé Pendulum et passé relativement inaperçu dans l'hexagone. Sorti début 2008, le titre date déjà un peu (il datait même le jour de sa sortie en raison notamment des filiations évoquées ci-dessus) mais il intrigue et donne la pêche. Idéal avant de se lancer dans une partie de Mario Kart ou après un déjeuner familial.

Whites Lies - To Lose My Life. The Bravery + Editors = White Lies = les derniers descendants en date et un peu creux de la lignée Joy Divisionnienne. Rien de bien original mais quelle production ! Quelle efficacité ! Et quelle voix ! C'est de la bonne pop romantique et ça se chante facilement alors tout le monde est content. Sinon profitons de l'occasion pour souligner la beauté de la couverture de leur album (Peter Saville - designer attitré de Joy Division - n'est pas très loin...).

jeudi, février 19, 2009

Critique de film : Joy Division

Joy Division, documentaire de Grant Gee sur l’un des groupes de rock phares de Manchester, est sorti le 28 janvier dernier dans une poignée de salles. Après 24 Hour Party People (Winterbottom, 2002), qui n’accordait à Joy Division qu’un rôle accessoire, et Control, le splendide film d’Anton Corbijn (2007) centré sur la vie de Ian Curtis, le regretté chanteur, Joy Division – le film – raconte l’histoire du groupe dans ses moindres détails, de ses maladroits débuts à sa trop rapide et inattendue désintégration. Un documentaire rock appliqué, intéressant, parfois inventif, mais peut-être trop pointu et obnubilé par son matériau pour dépasser la sphère des débats d’experts et des discussions de fans.

Groupe méconnu du grand public mais jouissant d’une aura inaltérable dans le monde du rock, Joy Division est communément considéré comme le pionnier de la mouvance post-punk et a influencé une pléiade d’artistes gravitant dans les confins mélancoliques de la galaxie électro-rock, de Nine Inch Nails à The Killers. Fondé dans la grisaille anglaise des années 70, le groupe est largement célébré depuis lors pour la noire efficacité de ses mélodies et l’effarante profondeur des textes de Ian Curtis. Le génie artistique de ses musiciens et la production avant-gardiste de Martin Hannett ont bien sûr beaucoup contribué au succès du groupe, mais ce sont la personnalité, le regard habité et lumineux de Curtis et, surtout, le triste destin de ce dernier (il se suicida en mai 1980, la veille de la première tournée du quatuor en Amérique du Nord) qui firent de Joy Division une légende du rock.

Tout cela, Grant Gee le restitue méticuleusement dans son film, en bon élève. Ce qui se traduit de manière sobrement conventionnelle au travers d’un montage linéaire, richement fourni, mais pas toujours très fluide, combinant entretiens avec les membres du groupe et leur entourage, extraits de concerts, de clips et de bandes radiophoniques, bribes de notes, textes et photographies.

Il faut bien admettre que Gee fait preuve d’un respect immense pour son sujet. Il remporte l'adhésion au travers de quelques pertinentes inspirations formelles, dans sa manière d’organiser les traces et témoignages du passé notamment. Selon une approche voisine du scrapbooking, les documents viennent ainsi se juxtaposer presque tels quels à l’écran, après avoir semble-t-il surgi du noir omniprésent (le passé ? la mémoire ?) qui baigne, encadre, seconde la plupart des plans, les textes et les entretiens en particulier. Couplé à la structure mécaniquement chronologique de l’ensemble, ce rigoureux dépouillement témoigne de l'intention de Gee visant à mettre entre parenthèse l’interprétation, la mise en scène subjective des événements, pour trouver le ton juste et valoriser au mieux le propos en le dénudant. Même si la neutralité n’existe pas, l’effort est louable, et il faut saluer la densité du travail de recherches, et l’enthousiasme d’un cinéaste qui fait de son mieux pour rendre un hommage délicatement discipliné à une matière qui le fascine (et peut-être l’intimide).

Mais le respect n’exclue pas l’adoption d’une approche critique distanciée, posture nécessaire à la construction d’un discours. On sent que le réalisateur a cherché à tout montrer, tout donner, au risque de perdre en cohérence et, incidemment, de noyer son éventuel discours dans le flot documentaire ininterrompu que constitue son film. Faute de discours, celui-ci ne s’adresse donc à son public que par les documents qu’il convoie, ce qui renvoie dès lors à l’expertise dudit public, seul face à l’appréciation des éléments qui lui sont soumis. Joy Division correspond donc davantage à un film de fan qu’à un commentaire réfléchi sur l’une des œuvres musicales majeures du 20ème siècle et risque par conséquent de perdre en route (euphémisme) les spectateurs qui ne sont pas déjà complètement acquis à la « cause ». C’est ce qui le distingue d’un film biographique comme Control dont le récit universel porte avant tout sur les tourments d’un jeune homme pris en étau entre sa maladie, ses obligations d’adulte et ses aspirations. Dans Joy Division, rien d’universel hormis peut-être le trouble sincère qui transpire de certains témoignages portant sur la mort de Ian Curtis, et l’évocation de la souffrance de ce dernier, que creusèrent insidieusement les attentes d’autrui (co-équipiers, public, épouse, amante, managers, etc.).

Telle est la limite d’un film qui par ailleurs prend « la légende Joy Division » pour acquise sans questionner sa musique. Le problème étant qu’ici comme ailleurs (dans d’autres documentaires sur la musique populaire) on parle de lien social, d’ambitions, de déchéance, et trop rarement de musique et de paroles, de leurs formes et leurs significations.

C’est peut-être pour cela que les rares moments où le film de Grant Gee parle du sens de l’œuvre sont si marquants. Ainsi, si Joy Division vaut d’être vu, en dehors du plaisir que l’on peut prendre à se repaître d’ « histoires » de rock, c’est surtout pour les quelques inestimables séquences où l’amante éplorée et le patron excentrique s’accordent finalement sur la portée testamentaire des paroles de Closer (second et dernier album) ; où sont évoquées les influences littéraires de Curtis (de Ballard à Burroughs en passant par Dostoïevski) ; et où le processus de création est brièvement commenté, au travers des explorations bruitistes de Martin Hannett, des commentaires du bassiste qui n’a jamais voulu faire du rock triste et de ce petit texte expliquant qu’il n’a fallu que trois heures pour écrire Love Will Tear Us Apart, chef d’œuvre romantique instantané.

Le film, lui, dure 93 minutes et parle plus du mythe Joy Division que de sa musique. Le mythe est touchant, certes, mais la musique, elle, est déchirante de sensibilité. Pour s’en convaincre, il suffit de se glisser dans les draps glacés de leurs albums…

Julien Grandchamp