mercredi, mars 21, 2007

Critique de film : 300

Une bande annonce constitue rarement autre chose qu’une compilation des scènes les plus vendeuses d’un film. Celle de 300 déroge à la règle. Magistralement galvanisée par la brutalité et la beauté de Just Like you Imagined de Nine Inch Nails, elle constitue presque une œuvre à part entière, et se paie le luxe de livrer en quelques instants la substance d’un grand film qui aurait pu l’être davantage une fois débarrassé de certains maniérismes et de deux ou trois lourdeurs esthétiques.

Avant d’être un film sauvage et puissant, 300 est le récit filmé (et adapté du "roman graphique" éponyme de Frank Miller) de la résistance d’une poignée de soldats spartiates menés par le roi Léonidas 1er, contre des dizaines de milliers de combattants perses cherchant à imposer à la Grèce la toute puissance du roi Xerxès 1er. Mis en scène par Zack Snyder, le réalisateur du malin et jouissif Dawn of the Dead (2004), 300 est à la fois visuellement stupéfiant et férocement contemporain.

Les libertés prises avec la réalité historique officielle, l’extrême stylisation des combats opposant Perses et Spartiates et le soin apporté à l’image (envisagée ici comme fin en soi, au détriment du récit diront certains) rayonnent dans l’air du temps. A des fins supposées de sur-dramatisation graphique, des monstres et des éléments décoratifs anachroniques ont été intégrés au film, contribuant ce faisant à conférer une dimension mythique à certaines parties de l’histoire. En témoignent le look à la fois gay, SM et vaguement hindou de Xerxès ; l’apparence répugnante des Ephors (sortes de sages dans l’ancienne Sparte) ; ou encore les deux monstres géants utilisés comme armes par les Perses. L’alternance de ralentis et de plans en temps réel dans le cours d’une même action, de même que la multiplicité des cadrages exhibant les performances physiques des héros sous toutes leurs coutures, sont par ailleurs emblématiques de l’optique chorégraphique dans laquelle un nombre important d’affrontements armés sont mis en scène à Hollywood depuis une quinzaine d’années, sous l’influence du cinéma asiatique en particulier.

Sur un plan purement graphique, une multitude de scènes solidement arrimées à une narration linéaire, prétexte à toutes les audaces, suggèrent un horizon esthétique plus large, inscrivant le mouvement des corps et l’exaltation de la violence dans un décor lyrique à la fois fruit et cadre déterminant des passions des hommes. A la manière des chefs d’œuvre picturaux de la période romantique, de nombreux plans viennent s’imprimer durablement dans le regard et la mémoire du spectateur. Certains d’entre eux entretiennent notamment une parenté confondante avec les oeuvres de peintres français comme Eugène Delacroix, Théodore Géricault ou Joseph Vernet. La brève exposition des orgies persanes auxquelles est convié Ephialtès (le spartiate exclu par la Cité en raison de sa difformité) suffit ainsi à évoquer la sensualité vénéneuse de La Mort de Sardanapale de Delacroix. La magnifique scène où les chevaux des messagers perses se cabrent une fois arrivés dans Sparte rappelle irrésistiblement les toiles de Géricault et la manière dont celui-ci magnifiait la lourde puissance de ces animaux. Et comment ne pas établir une filiation entre le plan dantesque dans lequel les guerriers spartiates se délectent du spectacle des navires perses en perdition, et les peintures de marine (notamment Tempête de Mer avec Epaves de Navires de Joseph Vernet) dans lesquelles les vagues, la lumière et les cieux ne constituent plus qu’une seule et écrasante menace ?

300 semble bel et bien avoir été conçu dans une approche picturale. Sa proximité graphique avec la peinture romantique l’indique. Sa photographie et son rythme le confirment. A maints égards le film ressemble ainsi à un assemblage de tableaux dont le metteur en scène serait tombé amoureux, au point de suspendre le récit pour en favoriser la contemplation. D’où un chapelet de plans fixes et surtout une longue série de voluptueux ralentis qui semblent tous converger vers un même idéal esthétique : l’exposition, non pas de la dynamique de l’action, mais d’une représentation magnifiée et figée de cette action. Dans cette même logique, le grain quasi-liquide de la photographie, dans laquelle le sépia, le bleu et le rouge l’emportent sur tout le reste du champ chromatique, contribue à faire de chaque plan une fiction mythifiée et non une capture du réel. Et c’est là le tour de force de Zack Snyder : figer le mouvement dans le chaos de l’affrontement et magnifier l’exploit par un usage sophistiqué du rythme.

En plus de la quasi-perfection formelle de 300 et de l’évidente inspiration créatrice de ses géniteurs, il faut saluer la crédibilité et la qualité de ses acteurs, Gerard Butler et Dominic West en tête. Et la nature décomplexée du film a également quelque chose de réjouissant : ici les images racontent infiniment plus que le récit sur lequel elles s’appuient, ou les dialogues (oubliables) qui les accompagnent. Pourtant, malgré toutes ces qualités, on peut regretter certains partis pris esthétiques voire rester sceptique à l’égard de connotations idéologiques susceptibles de parasiter, selon les sensibilités, le plaisir qu’on peut prendre à la vue d’une telle oeuvre.

En vrac et pour ne pas y consacrer trop de mots parce que là n’est pas l’essentiel : pourquoi investir tant dans l’image et négliger autant la bande son ? Celle-ci consiste en l’occurrence, et à de rares exceptions, en une suite de morceaux de métal grossiers et de chants lyriques Lisa Gerrard-style parfaitement éculés (plagiats presque parodiques des chants de Gladiator, déjà plutôt fatigants). Et pourquoi céder au lyrisme de supermarché en calquant de manière évidente certains plans de Gladiator (encore), film par ailleurs largement surestimé ? A croire que la Grèce et la Rome antiques étaient toutes deux couvertes de champs de blé...

Pour le reste, on peut à loisir choisir de voir le film indépendamment de son contexte de production et considérer que le culte de la perfection physique (cf. muscles très volumineux, dents très blanches), historiquement ancré dans la culture de la Grèce antique, n’est qu’un élément dramatique contextuel... ou glisser vers deux rapprochements faciles et inévitables. Le premier, avec la politique militaire des Etats-Unis, puissance menacée voire « assiégée », comme chacun sait, par l’Orient (ou les Perses). Et puis le second avec certaines idéologies (eugénisme suédois et sélection aryenne) et certains arts européens plus ou moins officiels (voir les sculptures d’Arno Breker sous le troisième Reich et de Gustav Vigeland en Norvège)...

Il est assez rare de reconnaître à une bande annonce la perfection qu’un film n’a pas. Il est également très étonnant, après voir vu un film, de devoir opérer un véritable choix (donc renoncer à quelque chose) dans l’appréciation et l’interprétation qu’on peut en faire. C’est le cas de 300 dont on peut dire qu’il est un spectacle à la fois captivant et ambigu. Un spectacle qui déroule sa mécanique au travers d’une succession de splendides tableaux animés, que l’on dévore des yeux et que l’on questionne peu. Mais aussi un film qui valorise une imagerie dont l’ambition et l’ampleur suscitent le Beau et délaissent le Juste.
Julien Grandchamp

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Purée ! ça a l'air cool !
commentaire n°2 = sais-tu que le grand Ron Howard va réaliser un remake de Caché ? oui, c'est la vérité.
dernier commentaire : je t'embrasse bien fort. Camille

zerzefsvcxs a dit…

MADNESS?! THIS IS SPARTA!!!

Anonyme a dit…

bon ben ça m'a donné envie d'aller voir le film ! j'aurais choisi de l'éviter, mais à te lire, je change d'avis!
bises
marie68

Anonyme a dit…

Joli parallèle avec le courant romantique .

Anonyme a dit…

TONIGHT, WE DINE IN HELL!
A crier très fort, vêtu d'une jupette rouge, avant une réunion importante avec un client;